Les œufs de Pâques
Garance est partie. Bonne pondeuse, mauvaise couveuse. Garance, c’était ma Bresse-Gauloise. Garance, c’est désormais ma poule qui apportera au dimanche de Pâques une autre saveur, une certaine profondeur.
Au départ, je la trouvais un peu quelconque, cette poule blanche et uniforme. Et puis, j’ai fini par remarquer les détails de sa beauté : un duvet lumineux, des pattes argentées, un œil aux aguets. Même si elle n’avait pas les airs punks des poules panachées, Garance avait du punch. Dès l’aube, elle était la première à se précipiter hors du poulailler pour filer à la conquête de nouveaux parterres, de nouveaux bosquets, de nouveaux fossés. Toujours plus loin, toujours plus longtemps, toujours plus confiante. Qu’elle était amusante à regarder cette cocotte assoiffée de liberté ! Jusqu’à ce qu’elle instaure avec moi une véritable partie de cache-cache. Dans le poulailler, ses œufs manquaient. Bon Dieu, elle ne pond plus, Garance ? Au bout d’un certain temps, j’ai dû me rendre à l’évidence : elle s’en allait les déposer ailleurs.
J’ai cherché pendant des heures, pendant des jours. Je l’admets, j’avais l’air d’une folle à la pister sans succès, à inspecter chaque buisson, chaque touffe d’herbes, à fouiller les bottes de paille, les tas de bois, à revenir bredouille de ces chasses aux œufs. Vu les distances qu’elle parcourait, ils reposaient potentiellement n’importe où, sur plusieurs hectares ! Je vous assure que si les parents cachaient les œufs en chocolat aussi bien que ma Garance, plus aucun enfant n’aurait le cœur à la fête le jour de Pâques…
J’ai malgré tout déniché sa cachette et son magnifique trésor d’une quinzaine d’œufs tout blancs, tout lisses, tout choyés. Aussitôt, elle s’est confectionné un autre nid que j’ai également découvert. Et ainsi de suite, et ainsi de suite. Elle ne se lassait pas, moi non plus. Mais le renard a fini par flairer ma basse-cour. Après l’enlèvement du coq et de trois poulettes, je me suis résolue à cloîtrer les survivantes dans un enclos solidement grillagé duquel elles ne pourraient s’échapper. C’est sûr, ce ne serait plus la même vie. En peu de temps, elles ont dénudé le sol, écumé les derniers brins d’herbe, et tourné en rond… Garance trouvait encore le moyen, dans cet espace rétréci, de planquer ses œufs.
Il y a quelques jours, il m’a pris l’envie, une heure avant que le soleil ne se couche, de leur rouvrir la porte, histoire qu’elles picorent un peu de verdure et de vers de terre. Pour une petite heure, elles n’iraient pas loin… Qu’avais-je fait ? Impossible, après cette récréation, de maintenir Garance enfermée. J’avais beau la remettre du bon côté de la clôture que je la surprenais au loin. Elle avait dû retrouver dans l’espace infini du jardin, dans la richesse du sol, dans l’entremêlement des branchages les ressources nécessaires pour survoler le grillage et rejoindre ce terrain de jeu qu’elle affectionnait tant.
Hélas, la période n’était pas propice ! Les renardeaux naissent et le renard est aux abois. Il a vite repéré ma blanche Garance, pourtant si farouche, si vive, si agile…
Dimanche, je m’efforcerai de cacher les œufs aussi bien qu’elle dans l’espoir secret que les enfants ressuscitent, en trouvant les siens, l’esprit d’une exploratrice tenace et d’une conquérante espiègle. Quelque part, dans le jardin, ses deux derniers œufs sont probablement dissimulés avec soin, deux œufs qu’elle a posés comme les deux éléments d’une équation impossible à résoudre : vivre longtemps ou vivre intensément ?