Des enfants et des arbres
C’est l’arbre sur lequel ils aiment grimper, l’arbre derrière lequel ils peuvent se cacher, l’arbre dans lequel, parfois, ils ont besoin de se planquer, l’arbre grâce auquel ils se fabriquent leurs épées ou leurs baguettes magiques, leurs bâtons de marche, leurs crayons… Quel incroyable partenaire de jeu, de création, d’émancipation !
Ce n’est pas un hasard si les enfants s’en font des alliés. Les arbres ont en commun, avec eux, de vouloir toujours grandir, de se frayer un chemin malgré tout, malgré les contraintes sans cesse exercées à leur égard. On les taille, on les corrige, on les redresse, on les maintient, on les recadre. Pourvu qu’ils ne dérangent pas… La vitalité, elle, continue de les pousser à chercher la lumière. Si certains parviennent à s’élancer bien droit, bien solides, d’autres trouvent leur trajectoire dans des postures plus ou moins biscornues, cabossées, surprenantes, parfois même inespérées. Mais ils sont là, tout de même. Ils existent. Ils ont résisté. Pas tous… c’est vrai.
En écrivant ces lignes, impossible de ne pas penser au film de Luigi Comencini, L’Incompris. C’est l’histoire de deux jeunes frères endeuillés par la mort de leur mère. Incompris dans sa peine, l’aîné préfère la cacher à son père. À défaut de réussir à poser des mots sur cette douleur, il la met au défi en s’aventurant toujours plus loin sur la branche d’un arbre dans lequel il a trouvé son refuge. Je n’en dirais pas plus…
N’avons-nous pas tous un arbre qui a marqué notre enfance ? Un complice silencieux qui a, jusqu’en haut, porté notre fierté, qui de son feuillage nous a camouflés, qui de son écorce a essuyé nos larmes, qui dans son tronc a fait résonner notre cœur qui battait la chamade quand les copains devinaient la cachette ? Combien d’arbres ont recueilli en leur creux des mots d’enfants incompris qui, peut-être, à ce moment-là, espéraient être assez grands pour pouvoir enfin les dire ?
Quand arrive l’âge adulte, l’arbre quitte la sphère de notre intimité. Il est mis à distance dans le paysage. Les branches sont taillées et les confidences sont tues. Qu’avons-nous fait de cet espace pour nous raconter ? S’il est un genre ou un lieu qui rend sa voix à l’enfance, c’est bien l’autobiographie. Ici, pas question de mettre en sourdine ses mots d’enfants, ses blessures ou ses rêves. Lorsqu’on entame un projet autobiographique — qu’il traite ou non, d’ailleurs, de son début de vie —, le souvenir des premiers temps est forcément là, en éveil, en rappel, latent. Car en se racontant, la question se pose toujours dans un coin de sa mémoire : « Est-ce que je suis arrivé à la cime de l’arbre ? »
Et si on reprenait l’ascension ?