Ah! Mère…
À la fin du XIXe siècle, pour tirer le portrait des enfants, on y plaçait leur mère afin de les immobiliser, tout en prenant soin de lui cacher le visage pour qu’elle n’apparaisse pas… Aujourd’hui, l’image prête à rire sauf peut-être pour certaines qui pourraient y projeter leur propre condition : l’impression d’avoir disparu de l’image, d’être devenues hors champ dès lors qu’elles ont enfanté.
C’est parfois le sort des mères trop bonnes, des mères poules, des mères pleines d’attention, des mères tout à l’écoute, des mères veilleuses, des mères qu’on finit par oublier tant elles sont là ! Trop présente pour occuper les albums de famille, pas assez absente pour ressurgir dans les souvenirs… Ah ! Mère… Pourquoi ne nous as-tu pas abandonnés ?
Il est humain d’être marqué par l’exceptionnel, de se remémorer l’inhabituel et de graver la rareté. Après tout, pourquoi raconter le quotidien, pourquoi photographier ce qui était déjà là hier, ce qui sera encore là demain ? Le temps passant, on s’habitue tellement à certaines présences qu’on ne pense même plus à les regarder ni à les écouter. On préfère immortaliser ce qui sort de l’ordinaire, les moments uniques, les visites surprenantes.
Et si la fête des Mères était justement l’occasion de lui porter un nouveau regard, de poser sur elles des mots jamais dits, de lui dévoiler enfin son portrait. Ou si plutôt c’était le moment de se taire et de la laisser conter ses mots, son vécu, son ressenti… La fête des Mères ne devrait-elle pas tout simplement rendre un visage à ce pilier effacé ?
Comme tant d’autres fêtes, sur bien des aspects, celle des Mères suscite des critiques… Mais curieusement, ce jour-là, chacune d’entre elles attend secrètement d’être célébrée, dans l’espoir, peut-être, de contrer une mémoire a-mère.