Si l’arbre se livre…

Tant qu’il était debout, il se contenait solidement, élevé par la lumière, tenu par les racines, protégé par l’écorce. Mais sous les coups de hache et de scie, ce bois qui, malgré les aléas, poussait en silence s’exprime, enfin. Sur la souche, les cernes avouent leur âge et nous parlent de ces années vécues dans la soif ou la satiété, dans le gel ou la canicule. Une fois séparée de la tête et des pieds, la grume se met à libérer des tensions et des nœuds que rien ne laissait présager. L’arbre, abattu et débité, ploie, se déforme et se courbe. Le bois éclate, il se fend et craquelle. Ce n’est qu’après avoir lu correctement ce que racontent ces fibres que le scieur saura quoi faire, de ce fût.

Tant que le livre est fermé, la vie d’une personne se traduit souvent dans les grandes lignes, dans les principales ramifications : quelques lieux de vie, les études, les longues amours, les changements professionnels... Mais que sait-on réellement du chemin parcouru, des tentatives et des bifurcations qui ont conduit cette personne à devenir ce qu’elle est ? Que sait-on réellement des interstices que jalonnent les faits ? Il est aisé de résumer une existence à une frise chronologique. Ce qui n’est pas dit, pourtant, est évidemment primordial: les sensations, les espoirs, les désirs, les regrets, les ressentiments, les élans, les blessures, les pensées, les doutes, les convictions, les échecs, les victoires... Voilà ce que devrait être toute biographie.

Beaucoup diront que cela relève de l’intime, que ce qui est enfoui devrait peut-être le demeurer. À quoi bon livrer sa vie secrète ? À quoi bon exhumer ce qui naturellement s’ensevelit ? Une vie n’appartient, pourtant, pas seulement à celui qui la porte. Comme les arbres, qui se font de l’ombre ou se laissent pousser, se supportent ou se bousculent, ou parfois même se guérissent, notre existence impacte celle des autres. Ouvrir son vécu comme on ouvre un arbre donne à comprendre cet héritage, et révèle au lecteur un peu de ce qu’il est, à travers cette nouvelle lecture de ce qu’on fut.

Récits autobiographiques

Précédent
Précédent

Mémoire d’un chêne